20 avril 2024

Démocratie & Citoyenneté (Grand Débat 2019)

Grand débat off : La restitution qu’ils n’ont pas publiée (1ère partie)

A l’approche des importants élections de 2022, il m’a semblé utile de revenir sur certains éléments de la grande confrontation nationale de début 2019 en livrant ici les restitutions de huit réunions locales que j’ai organisé entre le 19 janvier et le 16 mars  avec l’Association pour la promotion du débat citoyen. Ayant adopté le parti de suivre la règle du jeu proposé par le pouvoir gouvernemental, nous avons scrupuleusement respecté les quatre thèmes énoncés par la commission du grand débat : Démocratie et citoyenneté, Transition écologique, Fiscalité et finances publiques, et Organisation de l’état et des services publics, ainsi que le libellé et l’ordre des questions à l’intérieur de chaque thème. Je tiens à indiquer que l’Association pour la promotion du débat citoyen n’a sollicité aucune subvention des pouvoirs publics et a développé ses activités en toute indépendance citoyenne. Par ailleurs, il convient de préciser que les réunions ayant donné leu à cette restitution ont été organisées en dehors de tout encadrement par représentants du pouvoir, élus ou mandataires, et que les quelques-uns d’entre eux qui ont pu y participer ne l’ont fait qu’en tant que simple citoyen ordinaire.

Dans un premier temps, cette association, qui organisait des conférences et des ateliers-débats en toute indépendance idéologique et financière depuis 2016, s’était posé la question de savoir s’il fallait participer à ce Grand Débat, ou, au contraire le boycotter et communiquer sur ce refus. Il nous est apparu que le boycott n’avait de sens que s’il s’accompagnait d’une critique constructive et argumentée de la démarche. La participation, par contre et dans la mesure où elle n’était soumise à aucune contrainte ni cautionnement idéologique, pouvait constituer une opportunité de déconstruire le raisonnement présidentiel induit dans les questions posées et, partant, de dénoncer les éventuels incohérences, stratagèmes ou mystifications du schéma proposé.

Cette hypothèse alternative fut rapidement confirmée après avoir constaté que les différentes voix appelant au boycott ne s’accompagnaient d’aucune argumentation autre que celle de dénoncer une manipulation de l’opinion par le biais des questions posées et de pronostiquer une absence de mesures concrètes à l’issue de la consultation. Bien que ces deux affirmations ne soient guère douteuses, elles ne nous ont pas paru suffisantes pour refuser de saisir l’opportunité qui nous était ainsi donnée de réunir des groupes aléatoires de citoyens ordinaires dans le but de débattre de sujets politiques touchant à leur vie quotidienne.

Bien plus, la prédiction fréquemment exprimée par les partisans du boycott que les débats seraient organisés/encadrés par des agents du pouvoir (élus ou mandataires), objectivement renforcée, il est vrai, par les nombreux shows médiatiques auxquels se livrait le PR (Président de la république) dans tel village de la France profonde, s’est rapidement révélée infondée sur le terrain car il a nous été loisible d’organiser en toute liberté des réunions sur n’importe quel thème et sans encadrement officiel.

Le choix qui fut le nôtre de suivre le plan proposé par le gouvernement ne nous a donc nullement été imposé et nous aurions tout aussi bien pu débattre sur d’autres thèmes et d’après un canevas de questions différentes.

Mais, il nous a semblé particulièrement intéressant de chercher à décortiquer, sans contrainte ni influence extérieure, la trame et les arcanes du raisonnement gouvernemental afin de voir ce que des citoyens libres et non manipulés pouvaient en  déduire, en retirer ou en conclure.

Démocratie et citoyenneté

  1. En qui faites-vous le plus confiance pour vous faire représenter dans la société et pourquoi ?

Cette question est ambiguë dans la mesure où nous ne voyons pas très bien ce qu’il faut entendre par « société ». En effet, cette problématique peut être posée sur le plan de la vie politique (élus), civile (associations), ou même professionnelle (syndicats). Dans tous ces cas de figure, il s’avère que la confiance du citoyen en ses représentants est en forte baisse, et que ces derniers, quel que soit leur mode de désignation, sont généralement considérés comme poursuivant plutôt leurs intérêts propres que ceux de leurs mandants. La tendance serait donc de répondre à cette question : « nous ne faisons confiance qu’à nous-mêmes ».

  1. En dehors des élus politiques, faut-il donner un rôle plus important aux associations et aux organisations syndicales et professionnelles ?
  2. Que faudrait-il faire pour renouer le lien entre les citoyens et les élus qui les représentent ?

Cette question présuppose que les citoyens sont d’accord pour continuer à être gouvernés par un système politique représentatif, notamment en matière législative. Or ce n’est pas le cas, car beaucoup d’entre eux songent à remplacer le système de démocratie représentative actuel, avec lequel la loi est élaborée par un nombre restreint de personnes, par un système de démocratie directe, dans lequel le peuple est la source principale de la loi. Ce système ne serait d’ailleurs pas contraire à l’esprit de la constitution actuelle qui affirme dans son article 3 que la souveraineté appartient exclusivement au peuple.

Dans l’hypothèse où nous serions contraints de rester dans un système où la loi est faite par des représentants élus, il conviendrait toutefois que ces élus soient exempts de tout soupçon de corruption, délit d’initié ou complicité avec les différents et multiples lobbies catégoriels, qui, comme nous le savons tous, sont les principaux vecteurs de l’initiative législative. Ceci, malheureusement, paraît tout à fait impossible compte tenu de la toute puissance de l’argent et du profit dans notre société actuelle. Nous ne voyons donc pas ce qui pourrait être de nature à renouer ce lien entre les citoyens et leurs élus, qui existait effectivement avant que notre société ne bascule irrémédiablement dans la religion unique de la poursuite du gain financier.

En résumé faire confiance à des élus suppose qu’on fasse au préalable confiance à un système électif dans lequel ceux qui font les lois sont des professionnels rémunérés par l’argent public. Cette équation choque de plus en plus les citoyens qui souhaiteraient que les lois puissent être faites d’abord par ceux qui sont amenés à les subir, et sans que ceux-ci soient rémunérés pour les faire. En résumé, nous dirons que « la loi ne doit pas être faite par des gens payés pour la faire ».

  1. Le non-cumul des mandats instauré en 2017 pour les parlementaires (députés et sénateurs) est-il bon ?

Le non-cumul des mandats électifs doit être absolu. Le fait qu’un même individu puisse cumuler à la fois une fonction d’élaboration de la loi générale (député) et une fonction de gestionnaire d’une collectivité territoriale (maire ou conseiller régional) relève manifestement d’une violation de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), dans le sens où elle installe une confusion des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.

  1. Selon vous, faut-il introduire une dose de proportionnelle pour certaines élections, lesquelles ?

Une élection ne doit pas être une usine à gaz, sinon le citoyen ne comprend plus pour qui il vote. Dans toute élection, l’enjeu et le choix doivent être clairs, sinon il y a un risque de brouiller encore un peu plus les cartes du jeu politique. De ce point de vue, si nous admettons que l’élection présidentielle se déroule selon un dispositif relativement clair, nous constatons que ce n’est malheureusement pas le cas pour les élections législatives, et, encore moins, pour les élections municipales. Le scrutin majoritaire à deux tours de ces deux types d ‘élections conduit à asseoir un régime « oligocratique », c’est dire à donner le pouvoir à une minorité restreinte qui, de par la magie du calcul et du découpage électoral, devient alors une majorité inamovible.

Cet artifice anti-démocratique doit être abandonné au profit d’une représentation réelle des courants politiques de la nation. Cette option ne peut devenir réalité qu’à deux conditions consubstantielles : 1. instaurer la proportionnelle intégrale, 2. rendre effectif l’application de l’alinéa 3 de l’article 4 de la constitution qui garantit à tous les partis politiques quelle que soit leur importance, l’accès à une libre expression. L’application de ce deuxième point signifierait par exemple la garantie, pour tout mouvement politique quel qu’il soit, d’obtenir un libre accès aux canaux de diffusion médias publics et spécifiques, notamment TV, Radio, presse et internet, et ce, pendant des tranches horaires dédiées.

L’objection bien connue selon laquelle une assemblée nationale élue selon un système à la proportionnelle intégrale serait « ingérable » est sans objet dans la mesure où la question n’est pas de savoir si une assemblée est « gérable », mais si elle est « représentative ». Le discours sur la « gérabilité » de l’Assemblée Nationale est typique d’un pouvoir exécutif qui souhaite avoir une assemblée législative « soumise » à sa propre volonté, afin qu’elle soit contrainte d’approuver sans sourciller les lois qu’il sera amené à proposer lui-même.

Les arguments généralement invoqués pour rejeter l’idée de la proportionnelle intégrale ne nous paraissent pas recevables, tant pour ce concerne le rôle législatif de l’AN que pour ce qui concerne son rôle de contrôle du gouvernement.

Dans le domaine législatif, il apparaît clairement qu’une absence de majorité, causé par la représentation proportionnelle, pour soutenir tel ou tel projet de loi conduirait à ce que la loi envisagée ne soit pas votée. Loin de nous sembler constituer un problème, cette situation témoignerait tout simplement du fait qu’il n’existe pas de majorité populaire pour cette loi et qu’il est donc normal, d’un point de vue démocratique, que cette loi ne soit pas votée. Nous ne voyons rien ici, d’ « ingérable », sauf à considérer que toute loi proposée par l’exécutif doive être automatiquement votée par une majorité parlementaire acquise à lui par avance et par définition.

Dans le domaine des rapports entre le parlement et le gouvernement (titre V de la constitution), l’absence d’une majorité prédéterminée peut rendre plus difficile l’exercice de la motion de censure dans certains cas, mais au contraire le favoriser dans d’autres cas, sans que nous puissions nous prononcer à l’avance sur le fait de savoir si cela serait une bonne ou une mauvaise affaire pour le fonctionnement des institutions.

Signalons, enfin, que l’immixtion de l’exécutif dans l’élaboration de la loi, auquel il convient d’ajouter le pouvoir discrétionnaire dans le domaine réglementaire établi par l’article 37 de la constitution, sont contraires, tous deux, à l’article 16 de la DDHC qui indique que toute nation dans laquelle la séparation des pouvoirs législatif et exécutif n’est pas assurée « n’a pas de constitution ». L’instauration de la proportionnelle intégrale, sans régler totalement ce problème constitutionnel bien connu, contribuerait toutefois à l’atténuer.

06.Pensez-vous qu’il serait souhaitable de réduire le nombre de parlementaires (députés + sénateurs = 925)

La question du nombre des parlementaires est un faux problème, sauf à ne considérer que l’aspect financier de la chose. De ce point de vue, le coût annuel de fonctionnement de l’AN + Sénat est d’environ 800 millions d’euros, ce qui signifie qu’une économie annuelle de 250 millions d’euros serait réalisée si la diminution proposée par la réforme constitutionnelle était appliquée. Ce chiffre est particulièrement dérisoire si nous le comparons aux 50 milliards consacrés au remboursement de la dette, et cette proposition apparaît donc plus comme une opération de communication destinée à faire croire à la bonne volonté du gouvernement de faire des économies, que comme une alerte salutaire face à la réalité d’une charge financière devenue trop lourde pour le pays.

Le prétexte de l’économie financière étant écarté, nous ne voyons pas vraiment quel serait l’avantage pour le citoyen d’être représenté par moins d’élus législatifs. Un argument a été avancé indiquant qu’il serait possible de réunir l’AN + Sénat dans le seul Palais Bourbon si le nombre total du Parlement était inférieur à 577. Cet argument rejoint le premier en matière d’économie, mais paraît tout à fait négligeable eu égard à l’importance du rôle que doit jouer le pouvoir législatif, en tant que « premier pouvoir », voire même seul réel pouvoir, les autres n’étant finalement que des fonctions, missions ou rôles ne pouvant s’exercer qu’à l’intérieur du cadre rigoureux et coercitif édicté par le pouvoir législatif dont le parlement est, en principe, le seul dépositaire.

Vouloir réduire le nombre des représentants chargés de fabriquer la loi semble s’apparenter à une volonté de réduire le pouvoir législatif du parlement en affaiblissant sa représentativité quantitative, et ceci au bénéfice présumé de l’augmentation du pouvoir réglementaire de l’exécutif défini dans le fameux article 37, déjà cité, de la constitution. Vouloir faire établir la loi par un nombre encore plus restreint d’élus aboutirait logiquement à une moins grande assise populaire de la loi, et donc à l’accentuation de son caractère élitaire.

06bis. Pensez-vous qu’il serait souhaitable de réduire le nombre d’autres élus ?

Mis à part les députés et les sénateurs, les autres élus sont des élus locaux : maires, conseillers généraux et régionaux. Contrairement aux premiers, ceux-ci sont très nombreux (environ 40.000) et les exemples de redondances dans leurs attributions sont quasi-quotidiens. Des témoignages ont été donnés de demandes citoyennes ayant reçu au moins trois réponses d’élus différents pour la même question posée. Le fameux « millefeuille territorial » doit donc être sérieusement dégraissé par une remise à plat des compétences des diverses catégories d’élus locaux afin qu’ils cessent de se marcher mutuellement sur les pieds en permanence. Sur le plan financier, nous pouvons estimer le coût des élus locaux à 1,5 milliards d’euros et, de ce point de vue, une économie de la moitié de ce coût semblerait justifiée.

  1. Faut-il faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée (le RIP est organisé à l’initiative de membres du Parlement soutenu par une partie du corps électoral) qui est applicable depuis 2015 ?

Dans l’état actuel de sa définition constitutionnelle, le RIP ne peut pas être déclenché par les citoyens eux-même pour 2 raisons : 1/ le seuil de 10% de signatures est trop élevé. 2/ il faut l’accord de 2/5 des parlementaires. Concernant le point 1, un seuil de 1 à 2% paraîtrait plus raisonnable et correspondrait d’ailleurs à ceux pratiqués dans certains autres pays.

Concernant le point 2, il est à noter que l’accord exigé des parlementaires relève d’une pure hypocrisie puisque les parlementaires n’ont pas besoin de l’article 11 pour déclencher un référendum dans la mesure où ils peuvent utiliser l’article 89 sans avoir recours à l’accord des citoyens. Du point de vue des citoyens, par contre, le recours à l’article 11 va s’envisager précisément dans le cas où les parlementaires refuseraient d’édicter eux-mêmes une loi souhaitée par les citoyens. Dans ces conditions, nous ne voyons pas pourquoi les parlementaires donneraient leur accord aux citoyens pour déclencher l’article 11 dans le but de faire adopter un projet de loi dont ils ne voudraient pas. Cet article 11 comporte donc une contradiction interne, certainement voulue par son rédacteur, destinée à ce que les citoyens ne puissent pas le déclencher.

Par ailleurs, le concept même d’ « initiative partagée » est biaisé dans le sens où les citoyens et les parlementaires ne sont pas sur un même plan d’égalité dans l’exercice du pouvoir. Les citoyens n’ont pas le pouvoir de faire seuls la loi, alors que les parlementaires, eux, ont le pouvoir de faire seuls la loi. Nous ne pourrions réellement parler d’ « initiative partagée » que dans le cas où les deux protagonistes auraient le même pouvoir de faire la loi et qu’ils décident, par ce biais, de le partager. En réalité, le soi-disant « partage » évoqué par l’article 11 constitue un écran de fumée crypto-oligocratique dressé devant le peuple dans le but de lui donner l’illusion qu’il exerce un tout petit peu le pouvoir.

En conclusion de cette analyse, nous préconisons que l’adjectif « partagée » soit remplacé par l’adjectif « citoyenne », le RIP devant RIC, référendum d’initiative citoyenne, pouvant être déclenché à l’initiative des seuls citoyens à partir d’un seuil de signatures à préciser, mais pouvant se situer entre 1 et 2%.

  1. Faut-il tirer au sort des citoyens non élus pour les associer à la décision publique ?

Avant de parler de « tirage au sort », notion-serpent-de-mer pointant sa tête à chaque fois que le pouvoir a besoin de faire preuve de bonne volonté démocratique aux yeux de l’opinion publique, il conviendrait d’installer fermement et durablement l’idée selon laquelle des instances citoyennes doivent être créées dans le but d’être obligatoirement consultées pour certaines décisions, mais également d’être investies d’un pouvoir de questionnement, d’initiative et de révocation. Ces assemblées citoyennes devraient être localement disséminées sur tout le territoire et chargées d’effectuer un suivi de la décision publique. Elles pourraient effectivement être composées de citoyens tirés au sort, mais cette condition ne nous paraît pas exclusive car nous pourrions également imaginer que ces assemblées soient librement ouvertes à tous les citoyens qui le désirent, cette deuxième option présentant l’avantage d’avoir un caractère démocratique plus fort et de ne pas reproduire un système représentatif en tant que contre-pouvoir d’un autre système représentatif.

La question de la rémunération éventuelle des citoyens fréquentant ces assemblées est également déterminante. Seul le bénévolat intégral serait de nature à garantir objectivité et sincérité de la part des participants. De même qu’une participation libre et aléatoire de tout citoyen serait exempte de risque de corruption, au contraire de citoyens tirés au sort plus facilement identifiables et approchables par les groupes de pression et lobbies catégoriels..

  1. Que faudrait-il faire pour consulter plus directement les citoyens sur l’utilisation de l’argent public, par l’État et les collectivités ?

Il faut mettre en place des assemblées citoyennes locales telles que définies dans la réponse à la question précédente.

  1. Quel rôle nos assemblées, dont le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental doivent-elles jouer pour représenter nos territoires et la société civile ? Faut-il les transformer ?

Les rôles de l’AN et du Sénat n’ont pas à être modifiés, mais plutôt à être respectés. La question pourrait se poser de l’utilité du Sénat comme chambre complémentaire à l’AN. Si c’est la représentativité des citoyens qui doit primer dans l’élaboration de la loi, le Sénat pourrait alors être supprimé (car issu d’une élection indirecte favorisant les potentats des professionnels de la politique) en contrepartie d’une augmentation du nombre de députés de l’AN (car issus d’une élection directe par les citoyens). Cette option renforcerait la tendance exprimée dans la réponse à la question 6. Le nombre de députés pourrait ainsi être porté à 925. Le pays serait alors mieux représenté dans sa diversité et de nombreux partis politiques moins fortunés pourraient émerger.

Il est curieux que cette question 16 interroge sur le rôle de l’AN, alors que ce rôle est naturellement et historiquement reconnu comme étant prioritairement celui de faire la loi. Il faut donc en déduire que, dans l’esprit du pouvoir actuel, ce rôle ne paraît pas évident et qu’il imagine de lui confier un rôle qui le détournerait de son objectif initial. Cette posture n’est pas étonnante alors qu’il nous est donné de constater que près de 90% des 140.000 règles coercitives françaises contenues dans les 74 codes juridiques (lois, décrets, arrêtés, règlements, directives, ordonnances, circulaires) ne sont pas édictées par l’Assemblée Nationale. De plus, parmi les seules 14.000 lois édictées par l’AN, un dixième à peine sont issues d’une initiative parlementaire, les 90% autres étant issues d’initiatives émanant de l’exécutif. Dans ces conditions, l’AN n’est plus qu’une chambre d’enregistrement des projets de lois présentés par l’exécutif, ce qui, comme indiqué dans les réponses aux questions 2 et 4 est incompatible avec l’article 16 de la DDHC, le pouvoir législatif devant être rigoureusement indépendant du pouvoir exécutif.

Une réforme urgente serait donc de faire en sorte que l’exécutif cesse de fabriquer lui-même la loi, et ceci notamment par l’abrogation de l’article 37 déjà cité lui attribue un «pouvoir réglementaire» de droit exorbitant. Il conviendrait également de modifier l’article 39 qui attribue à l’exécutif l’initiative conjointe de la loi. La loi, dans ses trois phases d’élaboration que sont l’initiative, le débat et la votation doit redevenir l’exclusivité de l’Assemblée Nationale, comme cela avait été conçu dans l’esprit de 1789.

Dans ces conditions, une option intéressante serait de confier aux assemblées citoyennes locales un rôle complémentaire (à déterminer) dans cette élaboration législative. Ce rôle pourrait également être celui d’un CESE (Conseil économique social et environnemental) réaménagé en chambre d’initiative composée de citoyens tirés au sort et chargé de produire et/ou de sélectionner des projets de RIC ainsi que défini dans la réponse à la question 7. Ce nouveau rôle du CESE serait largement plus productif que celui qu’il tient actuellement et dont beaucoup de citoyens constatent l’inutilité. Dans le cadre d’une autre hypothèse le CESE pourrait être purement et simplement supprimé sans que l’exercice de la démocratie en soit particulièrement affecté.

  1. Diriez-vous que l’application de la laïcité en France est aujourd’hui satisfaisante. Que proposeriez-vous pour renforcer les principes de la laïcité dans le rapport entre l’État et les religions de notre pays ?

L’application de la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat ne semble pas correctement respectée aujourd’hui, dans la mesure où l’Etat finance l’école privée, notamment de type confessionnel. Le principe école publique = financement public / école privée = financement privé, semble la logique même. La question pourrait toutefois être posée de savoir si les familles qui souhaitent mettre leurs enfants dans des écoles privées doivent bénéficier d’un dégrèvement d’impôt correspondant au coût de la scolarité dans ces écoles, au motif invoqué que leur portion d’impôts destinée à financer l’école publique ne leur profite pas. Ce raisonnement doit être rejeté car le principe républicain du service public ne doit pas prendre en compte la quotité d’utilisation de ce service par tel ou tel citoyen, mais uniquement son caractère d’utilité générale. De fait, aucun citoyen ne peut revendiquer de dégrèvement d’impôt en raison des non-utilisation de tel ou tel service, quel que soit le domaine concerné : éducation, santé, retraite, chômage, etc.

Le principe déjà évoqué public-public / privé-privé doit également s’appliquer pour ce qui concerne le financement des différentes congrégations religieuses et associations cultuelles, c’est à dire que l’Etat ne doit pas intervenir dans le financement des ces organisations. Or, cette disposition rigoureuse de la loi de 1905 est loin d’être absolue car le législateur, a aménagé au fil des ans, des dérogations à l’interdiction stricte du financement public des lieux de culte. En France, l’État et surtout les collectivités locales contribuent de différentes manières à subventionner les religions. C’est manifestement un déni de laïcité qui perdure en flagrante contradiction avec l’article premier de la constitution stipulant que la république française  est indivisible, laïque, démocratique et sociale.

  1. Comment garantir le respect par tous de la compréhension réciproque et les valeurs intangibles de la République ?

Cette question est incompréhensible, tant au plan de sa syntaxe (que signifie : « le respect d’une compréhension réciproque… ? »), que de son fondement (quelles sont ces « valeurs intangibles de la république »). Les technocrates, énarques ou non, qui ont travaillé à la rédaction de cette question ont manifestement fait un mauvais usage de l’argent public consacré à leur rémunération.

  1. Que faudrait-il faire aujourd’hui pour renforcer l’engagement citoyen dans la société ?

L’intérêt des citoyens pour la chose publique ne se décrète pas, il se construit. Le désintérêt, par contre témoigne d’un échec cuisant de la classe politique professionnelle à intégrer les citoyens à la décision publique. Il revient donc au personnel politique de se poser lui-même cette question, plutôt que de la poser aux citoyens, en laissant ainsi supposer que c’est le citoyen qui porte seul la responsabilité première de la situation. En l’état, c’est confondre la conséquence et la cause. Par comparaison imagée, nous pourrions dire que si un enfant est mal élevé, c’est la faute de ses parents et pas la faute de l’enfant.

Cette question ainsi posée contient sa réponse dans le contenu même de sa formulation. A la question : Que faudrait-il faire aujourd’hui pour renforcer l’engagement citoyen dans la société ? La réponse est bien évidemment : « renforcer » son engagement, c’est à dire : lui donner du pouvoir « réel ». En effet, il est évident que si le citoyen constate qu’il n’a strictement aucun pouvoir, il va se désintéresser de la vie politique. Mais cette évidence semble ne pas ouvrir les yeux des représentants du pouvoir en place. De plus, le citoyen n’est pas dupe des stratagèmes destinés à lui faire croire qu’il participe « réellement » à la décision publique. Qu’ils soient dénommés démocratie participative, démocratie collaborative, démocratie partagée, ou autre appellation ronflante, il constate qu’en réalité c’est toujours une minorité mandatée qui décide en fin de compte.

La question du vote obligatoire pourrait également être posée, mais elle est indissociable de deux autres questions subsidiaires : 1. comment prendre en compte le vote blanc ? 2. comment fournir un mode d’expression à ceux qui ne se reconnaissent pas dans le système représentatif ?

Le vote obligatoire est une mesure proposée par certains qui considèrent que l’abstentionniste est un « mauvais citoyen » refusant de remplir ce qu’ils définissent comme un « devoir civique ». De ce fait, la contrainte coercitive leur semble le seul moyen de répondre efficacement à la question posée : « Que faudrait-il faire aujourd’hui pour renforcer l’engagement citoyen dans la société ? ». Le fait qu’ils assortissent généralement leur proposition d’un « malheureusement » (… il faut malheureusement en passer par-là….) montre qu’ils apparaissent relativement désarmés devant le problème de l’abstention et qu’ils ne voient que le moyen de la contrainte comme solution. Il n’en reste pas moins vrai que cette position occulte le fait qu’obliger un citoyen à aller voter n’entraîne pas forcément le renforcement de son engagement de fond dans la vie publique et risque même, au contraire, de l’en dégoûter encore un peu plus. Par ailleurs cette disposition constituerait une restriction directe de la liberté individuelle fondamentale, et ne pourrait être instaurée que par une modification de la constitution, notamment de la DDHC.

En outre, le respect de ces mêmes libertés fondamentales conduirait automatiquement à assortir cette obligation de vote de la reconnaissance du vote blanc afin que tous les citoyens qui ne se reconnaîtraient pas dans les personnes ou les choix proposés puissent le signifier de façon claire. De plus, ce raisonnement induit que, si le vote blanc atteignait un certain pourcentage des votants, la votation engagée serait invalidée quel que soit son résultat comptabilisé au pourcentage des suffrages nominalement exprimés. Dans tous les cas, le pourcentage de vote blanc invalidant resterait à préciser tout en sachant que le pourcentage de 50% paraît le plus démocratiquement acceptable. Il n’en reste pas moins vrai que son incorporation dans les différents types de scrutin n’est pas simple à réaliser. La question reste également posée du devenir d’une élection nominale de type présidentielle ou législative dans le cas où le vote blanc serait majoritaire. Cette question de la prise en compte du vote blanc est un autre serpent-de-mer ressorti de temps à autre par les crypto-oligocrates pour se donner un peu de lest, mais ces derniers peuvent être facilement débusqués par l’indice qu’ils ne se prononcent jamais sur le chiffrage précis du pourcentage invalidant, laissant planer ainsi l’ombre portée angélique du vote blanc planer sur le débat.

Enfin, l’obligation de vote ne résout aucunement le problème du mode d’expression de ceux qui rejettent en bloc le système représentatif et sont partisans d’un système différent (par exemple de type démocratie directe). En dernière analyse, cette question présuppose que le mode représentatif électif constitue un axiome indiscutable de l’organisation collective, et que tout renforcement de l’engagement citoyen dans la vie publique passe nécessairement par une plus grande participation aux élections proposées par le pouvoir oligocratique en place.

Or, les derniers évènements sociaux, qui sont d’ailleurs à l’origine de l’instauration de ce débat, montrent que de nombreux citoyens ne considèrent plus l’élection de représentants comme le mode ultime d’exercice de la souveraineté par le peuple, tel qu’il est affirmé dans le Titre premier de la constitution actuelle, et que d’autres formes d’engagement que celles uniquement proposées par le pouvoir en place, doivent être étudiées.

  1. Quels sont les comportements « civiques » qu’il faut promouvoir dans notre vie quotidienne ou collective
  2. Que faudrait-il faire pour favoriser le développement de ces comportements civiques et par quels engagements concrets chacun peut-il y participer ?
  3. Que faudrait-il faire pour valoriser l’engagement citoyen dans les parcours de vie, dans les relations avec l’administration et les pouvoirs publics ?
  4. Quelles sont les incivilités les plus pénibles dans la vie quotidienne et que faudrait-il faire pour lutter contre ces incivilités ?

Les incivilités observées dans la vie quotidienne sont nombreuses et variées et émanent souvent des jeunes gens, voire des enfants. Mais la faute, bien évidemment ne leur incombe pas directement car ils ne sont que le produit d’une éducation façonnée par les parents, d’une part, et l’Etat (par le biais de l’école), d’autre part. Or, nous assistons depuis plusieurs décennies à une démission progressive de l’obligation parentale d’éducation, due aux contraintes grandissantes de la vie professionnelle, et à une progression inversement proportionnelle du laxisme de la discipline scolaire, due à l’indigence morale du système politique qui est censée la réglementer.

Une autre façon d’aborder le problème serait de considérer que la première des incivilités est celle perpétrée par l’Etat lui-même qui laisse se développer les inégalités entre les différentes catégories de citoyens, au point que celles-ci ont aujourd’hui atteint un niveau record depuis le début de la société moderne. L’écart des revenus, voire des privilèges, entre les plus forts et les plus faibles est aujourd’hui bien supérieur à ce qu’il était auparavant, même avant la révolution de 1789.

  1. Que peuvent et doivent faire les pouvoirs publics pour répondre aux incivilités ?

Personne ne voit vraiment aujourd’hui de solution à cet état de choses, c’est un problème de société qui, dans un premier temps, ne pourrait être amoindri que par une volonté politique de rigueur répressive, à l’instar de la théorie de la vitre brisée et de la tolérance zéro, mise en application par le maire de New York, Rudy Giuliani dans les années 1990 et qui a permis de pacifier la ville.

  1. Quel pourrait être le rôle de chacun pour faire reculer les incivilités dans la société ?

Le fait de poser cette question montre, s’il en était encore besoin, que le gouvernement fuit ses responsabilités en la matière et cherche à impliquer le citoyen de base dans la lutte contre les incivilités, voire contre l’insécurité. Or, cette fonction relève par nature de l’Etat par l’intermédiaire de ses missions régaliennes, telles que la sécurité intérieur et civile, pour ce qui est de ‘action répressive et l’Etat qui manque à cette obligation, faillit à sa mission principale. Mais l’Etat ne doit pas avoir qu’un rôle répressif. Si, selon la formule consacrée « gouverner c’est prévoir », il conviendrait que l’Etat-tout-puissant actuel soit en capacité de faire en sorte que les causes premières des comportements incivils n’existent pas, ce qui serait la meilleure façon d’obtenir le résultat cherché, c’est à dire que les incivilités ne surviennent pas.

Cette politique d’éradication des causes premières relève exclusivement de l’Etat et nous ne saurions trop pointer cette question 26 comme étant singulièrement révélatrice d’une forfaiture cherchant faire endosser la responsabilité de l’existence des incivilités au « rôle de chaque citoyen ».

  1. Quelles sont les discriminations les plus répandues dont vous êtes témoin ou victime ?

La discrimination la plus visible et la plus révoltante est celle par l’argent. Elle se manifeste dès le plus jeune âge, à l’école, lorsque l’enfant à qui les parents n’ont pas pu acheter les dernières chaussures à la mode se voit brocardé et humilié par les enfants plus riches.

  1. Que faudrait-il faire pour lutter contre ces discriminations et construire une société plus solidaire et plus tolérante ?

Cette discrimination “par le fric”, qui va perdurer et s’amplifier tout au long de la vie adulte du citoyen ordinaire, pour peu qu’il n’accède pas à un revenu adéquat, pourrait déjà être tuée dans l’oeuf dès la petite école par l’instauration de l’uniforme scolaire qui gomme les signes ostentatoires de richesse. Pour le reste, et afin d’avoir une chance de pouvoir construire une société plus solidaire, il faut nécessairement et prioritairement rejeter un système politique qui représente les intérêts de la classe marchande et pas ceux des citoyens. Et cette transformation doit commencer par le système législatif. Les règles législatives qui nous gouvernent actuellement et qui construisent une société inégalitaire, sont élaborées par un groupe très restreint de personnes, pour la plupart même pas élues et qui répondent aux injonctions des lobbies de la sphère marchande. Si ces lois étaient fabriquées par les citoyens eux-même, nul doute que les inégalités et les discriminations dont nous venons de parler diminueraient, peut-être même qu’elles ne pourraient pas émerger.

  1. Pensez-vous qu’il faille instaurer des contreparties aux différentes allocations de solidarité ?

La question de la contrepartie aux allocations de solidarité est encore un serpent-de-mer de plus qui recouvre plusieurs problématiques. La première problématique procède d’une confusion assez répandue à propos des termes « contrepartie »  et « solidarité ».

Prenons le terme « contrepartie » : de quelle contrepartie parle-t-on exactement? Le RSA, par exemple exige certaines contreparties de démarches et les Allocations Familiales peuvent être considérées comme une contrepartie à l’obligation parentale d’éducation.

Prenons maintenant le terme « solidarité » : l’article 2 de la constitution stipule que la devise de la République est : liberté, égalité, fraternité, ce qui signifie, si nous remplaçons le terme fraternité par son synonyme solidarité, que la solidarité est une donnée constitutionnelle, ce qui constitue une forme de réponse par la négative à la question posée.

Une deuxième problématique concerne la stigmatisation de ceux qui semblent devoir bénéficier indûment de cette solidarité, c’est à dire ceux que nous appelons communément les populations en difficulté. Or, plutôt que de réfléchir sur la question de savoir s’il faut demander une contrepartie (sous-entendue en travail) à ces populations, il conviendrait plutôt de se demander pourquoi elles se trouvent en difficulté dans un pays présenté comme la sixième puissance mondiale et disposant d’un PIB d’un niveau encore jamais atteint par le passé récent, ou ancien. Cette approche de la question nous amène tout naturellement à préconiser que le pouvoir en place prenne des dispositions pour qu’il n’existe plus de personnes en incapacité d’obtenir un revenu d’existence suffisant pour ne pas avoir besoin d’allocation de solidarité. Cette mission, qui devrait être la mission première d’un Etat réellement serviteur du peuple ne semble pas préoccuper l’esprit de ses plus éminents agents, et nous sommes même en droit de nous demander si le système des allocations de solidarité n’est pas pour eux, un véritable outil de gestion des masses populaires, destiné à acheter une paix sociale indispensable à la conduite paisible des activités de la société marchande.

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